Rencontre avec Cyril Mokaiesh « J’ai eu envie d’ouvrir les fenêtres »

Bonjour Cyril

Yann, le rédac chef de Mamusicale, t’avais déjà rencontré en 2017, pour la sortie de « Clôture », ton 5ème album. Tu disais alors « J’aime bien l’idée d’être un chanteur un peu « coup de poing » ». Aujourd’hui, tu es toujours ce révolutionnaire à fleurs de mots ?

Révolutionnaire, je n’oserais pas dire ça. Mais j’aime bien le risque oui. J’aime bien me lancer des défis, aller vers le risque, où il y a une passion qui peut naître. Parfois on me dit « Tu vis de ta passion », « Tu as choisi la musique » ; en fait c’est l’inverse. J’ai pris un risque de faire de la musique et de là des choses passionnées me donnent envie d’aller encore plus loin à chaque fois. L’album précédent parlait vraiment de sujets de société. Sur cet album-là, j’avais envie d’aller un peu ailleurs et de parler avec je l’espère, toujours autant de vérité de sujets différents. C’est un voyage, qui m’est cher parce que ce sont mes origines, ce n’est pas un voyage pour un voyage. C’est une quête intérieure et extérieure aussi, parce que j’ai envie d’en ramener quelque chose, de rendre hommage au Liban, de donner envie aux gens d’en savoir plus, de se laisser porter par un voyage un peu profond.

« Novembre à Paris » … l’espoir est à l’étroit en ce 20 novembre ?

C’était l’anniversaire des attentats. Il y’a une jolie réponse qu’on a donnée à ce triste anniversaire, nous les musiciens et l’Institut du Monde Arabe, par une nuit de la Poésie. Plein de sujets nous dispersent, la violence est là, on aurait moyen de baisser les bras facilement si on regardait trop les chaînes d’info. Mais il y’a encore quelque chose qui nous lie, c’est la culture, c’est l’art, c’est la poésie, c’est la musique, c’est de faire des choses pour la beauté du geste. De voir que ça a fédéré autant de monde à l’Institut du Monde Arabe, ça me donne de l’espoir. Il n’est pas à l’étroit.

En ce moment, tu rends un symphonique hommage à Allain Leprest, avec Clarika, San sévérino et Romain Didier (Leprest en symphonie – sortie le 15 novembre). Un combat contre l’indifférence au sujet de ce remarquable mais si discret poète ?

Je le fais parce que je considère que c’est l’une des plus belles plumes de la chanson française. Je connais très bien son œuvre et j’aurais tendance à dire que c’est un classique, mais un classique qui n’a pas été remarqué par tout le monde. Aujourd’hui, à la question  Est-ce qu’il faut se souvenir des gens alors qu’ils sont inoubliables d’une certaine manière ? … Eh bien Allain Leprest, c’est bien de s’en souvenir, c’est bien de le faire découvrir. De ce point de vue là il y a quelque chose qui amène de la grandeur à notre métier. On défend nos chansons mais on est capables Clarika, San Severino, Romain Didier et moi-même, de rendre hommage à un grand auteur un peu méconnu du grand public.

Naît-on poète ?

Non, je ne crois pas. On est sensible peut-être, et puis après on travaille. Je crois à une hypersensibilité. Il y’a des gens plus solides que d’autres. Je ne crois pas au don, même s’il y’a sans doute une prédisposition. Ecrire une chanson, c’est comme un artisan. Il faut que la chanson soit confortable. Il faut que les mots aient un sens et que ça soit beau. Tout notre travail pour rendre une jolie pièce, c’est de travailler notre fluidité et de se nourrir de tous ces temps où on n’écrit pas, se charger d’émotions, aller voir les autres, écouter, voyager, faire des rencontres, on engrange de la matière ; et avec les années si on est bien studieux, on peut prétendre à faire des chansons qui soient vraies et qui participent à la beauté des choses, j’espère.

Tu dis en poésie ce que les autres parfois ne savent dire que tout bas. Tes vérités et ta sincérité dérangent ?

Sans doute. En tout cas, c’était hyper valable sur l’album précédent (avec la Loi du marché). Ça ne dérange pas quand on en discute avec qui que ce soit, mais ça dérange qu’en chansons on puisse se permettre de prendre la parole sur des sujets qui sont un peu chauds et de dire les choses de manière un peu cash, même si je tiens toujours à ce que justement on puisse faire passer des messages grâce à la forme et au style, qui se rapproche d’un style poétique. Pour moi, ça n’aurait aucun intérêt de le faire si c’était juste un tract ou une propagande. J’essaie d’amener un peu de beauté. Je continue une tradition. J’ai écouté des chanteurs qui ont pris la parole avant moi, qui s’engageaient d’une certaine manière, ça ne m’a jamais fait peur à condition que ça ne soit pas gratuit. Quand j’ai vraiment quelque chose qui me révolte, j’ai envie que ça puisse transparaître dans mon travail, quand je suis très amoureux j’ai envie de le dire, quand je suis très malheureux je le dis aussi. La chanson, ça sert à ça. C’est un vecteur de communication, de fédération.

Tu luttes contre les faiseurs d’opinion. Te considères-tu comme photographe d’une époque ou éclaireur de pensées ?

Je suis un témoin et un acteur. Je suis comme tout le monde. Je ne suis ni plus, ni moins. Mais j’ai décidé de faire de la chanson, d’écrire et d’aller sur scène et de porter des pensées, des idées, une parole, donc je ne peux pas sous-estimer la fonction que je me suis infligée, de faire ce métier-là et j’ai envie d’aller au bout des choses, donc j’essaie de prendre la parole le moins possible pour ne rien dire. Ça fait quelqu’un de moi qui parle de son époque. Je suis dans mon époque, j’espère.

Ton nouvel album « Paris, Beyrouth », sort début janvier. Une plongée dans ton enfance pour ce mélange des genres ?

Je n’ai pas grandi là-bas, mais c’est vrai qu’enfance ça pourrait englober des choses enfouies chez moi, l’éducation. C’est un album qui me rapproche d’une certaine partie de ma famille, d’une certaine culture que j’ai eue, d’un lieu -cette maison de famille au Liban dans laquelle beaucoup de générations sont passées- ; quelque chose d’intime m’a habité pendant toute cette période d’écriture, et qui m’habite encore. Aujourd’hui les événements au Liban m’intéressent beaucoup, et ça nous a rapprochés avec mon père, on échange sur les informations là-bas. C’est une culture que j’ai en moi depuis toujours mais c’était une porte que j’avais vraiment ouverte et là c’était l’occasion de passer du temps là-bas, de fouiller dans des albums photos, de me balader, de rencontrer des gens, de me sentir à ma place, même si je ne me sens jamais tout à fait bien là où je suis. Il y’a une quête intérieure, une envie d’approfondir des racines. J’ai envie qu’à travers mon propre voyage, ma petite quête à moi, les gens se retrouvent un peu. Il y’a beaucoup de gens déracinés, qui ont une double culture. On ne sait pas vraiment à qui on appartient, d’où on vient, on est là, on est occidentaux, on est français, mais on est aussi beaucoup de choses et c’était le moment pour moi d’aller chercher un peu.

Tu es resté longtemps là-bas ?

Oui, quelques mois, avec des allers-retours. J’ai beaucoup travaillé avec mon ami Valentin Montu, qui a réalisé l’album avec moi. On l’a vraiment fait tous les deux. Ça porte bien son nom « Paris-Beyrouth ». C’est musicalement quelque chose d’ancré dans une musique occidentale électro, et sur chaque chanson une touche libanaise apportée souvent par une collaboration.

Qu’est-ce qui t’as mu et ému pour la composition de ce nouvel album ?

J’avais envie de me recentrer vers des choses spirituelles. Peut-être que c’est mon disque le plus spirituel et le moins politique. Il est plus tourné vers la nature. Un livre m’a accompagné tout au long de cet album : le cantique des oiseaux. C’est un vol d’oiseaux qui fugue pour accéder à une forme de sagesse, qui passe par 7 vallées, qui a beaucoup d’épreuves. Il y a eu des épreuves aussi dans ce disque et je ne sais pas si on en ressort plus sage qu’on est entrés, en l’écoutant, mais en tout cas il y a eu la volonté d’aller vers quelque chose, une fenêtre ouverte. J’ai eu envie d’ouvrir les fenêtres et d’arriver à un point où je me dise qu’on a pris le bon chemin. Aujourd’hui, je me sens un peu plus connecté aux choses, comme je l’étais quand j’ai démarré. C’est un voyage physique mais aussi un peu intérieur.

Penses-tu que la musique soit une question d’éducation ? Quelle place a eu la musique dans ton enfance. Qu’est-ce qui t’as fait la préférer au sport (ndlr : champion de tennis) ?

C’est l’écriture qui m’a fait basculer du côté musique. Je n’ai pas eu d’éducation vraiment tournée vers la musique. On en écoutait, mais pas plus, pas moins que dans n’importe quelle famille je pense. Non, ça a été l’écriture, la poésie, les premiers livres de poésie qu’on m’a offerts à l’adolescence, qui m’ont vraiment marqué. Je me suis essayé -quand on a 18 ans on ose tout- à écrire des textes. D’ailleurs le premier texte que j’avais écrit c’était « Le Cèdre au Liban ». Et puis j’ai fait une rencontre, avec un musicien, Daniel LUCHARINI, qui au départ mettait en musique mes chansons. C’est pas la musique qui me passionnait. C’était l’envie et le constat de me dire que j’étais capable et j’allais prendre ce risque. Et puis après, la musique est devenue ma vie, parce que je l’ai décidé.

Les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain.  Dans les chansons il y a aussi une idée de transmission. La chose la plus importante que tu aurais à transmettre à ces hommes de demain ?

C’est difficile comme question. Je transmets la chance que j’ai de pouvoir laisser une petite trace, pour mon fils. Souvent mes textes, je les écrit pas sur un ordi mais sur des feuilles qui traînent sur le piano. Et puis une fois que j’ai terminé un album, je les range un peu soigneusement j’avoue, dans un dossier. Je me dis qu’un jour il retombera dessus peut-être, il les comprendra, s’il ne les comprend pas déjà. La chance que j’ai en faisant ce métier c’est aussi de laisser une petite trace à ceux qui voudront se replonger là-dedans. Je transmets des paroles, de la musique et une voix.

Un moment auto-promo ?

Les échéances c’est la Maison de la Poésie le 11 décembre, où j’allierai découverte de l’album et lecture du cantique des oiseaux. Le 3 mars au Trianon. L’album sort le 10 janvier.

On a fait pour cet album une édition particulière ; un livre-photo. On a parcouru Beyrouth avec mon ami photographe Tamina Manganas et on a ajouté de l’image au son. Il y’a 144 pages dans un bouquin de photos en argentique.

Chroniqueuse / Live report / Interviews