La Maison Tellier, madeleine de Proust des temps modernes

22 mars 2019 : sortie de « Primitifs Modernes », le 6ème album de la Maison Tellier. La veille, salle Paul B à Massy, Mamusicale en prenait plein les oreilles : mamusicale.fr

Ce 25 avril, on a rencontré « Helmut », le très barbu et charismatique leader de la Maison Tellier, entre une session radio à la capitale et un concert à Lyon.

Helmut, en quelques mots, peux-tu nous raconter l’histoire de votre « horde » ?

Notre horde existe depuis une quinzaine d’années. On a commencé avec Raoul le guitariste par faire des chansons dans notre salon avec des guitares en bois, plutôt des trucs folks, qu’on peut jouer de manière simple. Juste deux gars et deux guitares. On s’est rendu compte que ça matchait bien. Chacun ramenait ses spécificités et ses qualités. On s’est un peu pris au jeu. Et puis il y’a eu plein de hasards qui ont fait qu’on s’est retrouvés à cinq avec le reste de la troupe, qui sont encore les mêmes maintenant.

Nous on vient de Rouen. Musicalement c’est un petit monde. On a eu l’occasion de trouver ces gars-là parce qu’ils jouaient dans des groupes de potes à nous. On a fait super vite un 1er album, peut-être un peu trop vite. On a appris à jouer en même temps qu’on faisait des disques. Là c’est le 6ème qui sort. six albums, quatre tournées. De fil en aiguille c’est devenu notre vie. C’était pas forcément ça le projet de départ. On s’est pris au jeu. Tout s’est toujours fait par hasard un petit peu. Après c’est une histoire de groupe comme plein de groupes. On commence à jouer dans une cave et on se rend compte que c’est pas mal, et un petit bar, une première partie etc etc… A l’ancienne.

La Maison, c’est quoi ?

La Maison Tellier c’est une nouvelle de Maupassant, qui se passe dans une maison close. Comme on est normands, Maupassant fait un peu partie du folklore local et des « monuments » locaux.  La littérature c’est un monde qui m’attire. Les livres m’ont toujours accompagné toute ma vie. J’aurai aimé écrire des romans, des nouvelles, mais le format chanson est pas mal. Ça permet d’être un peu fainéant, de pouvoir chanter, de donner plus d’attention à ces mots-là.

On trouvait ça rigolo le côté « entreprise familiale », qui est contenu dans le nom, un peu comme s’il y’avait un truc un peu artisanal. Et puis une maison c’est rassurant. On a envie de rentrer, de rester, de se poser au coin du feu ou de faire une soirée cuisine. J’aimais bien l’idée d’avoir un univers un peu féminin pour nous décrire nous, cinq gars, barbus, qui utilisent aussi leur corps pour vivre ; pour l’analogie avec la maison close. On s’est rendus compte que ça accrochait bien auprès des gens ce nom-là.

Et comment ça se passe justement cinq mecs barbus ensemble ? Qui décide de quoi ? Quelles sont vos méthodes de travail « artisanales » ?

Elles se taylorisent un petit peu avec le temps. On finit par se rendre compte de la manière la plus efficace de bosser et celle qui convient le mieux aux egos de chacun. L’idée c’est quand même de ramener des squelettes de morceaux avec Raoul, des guitares-voix. On a des espèces de petits rituels, on part tous les deux. On a fait plein de coins différents : Essa Ouira, le Massif central, pour cet album-là c’était Saint-Vaast-la-Hougue, un petit port du Cotentin. Juste nous deux et un ordi pour enregistrer et les idées qui viennent sans vraiment de pression, même si on sait qu’on doit ramener quelque chose parce que derrière les gars attendent pour poser leurs arrangements. Donc nous on a la structure de la chanson et le reste se fait en bossant ensemble et on se lance sur les morceaux jusqu’à ce qu’on soit contents. Ça permet d’être dans un échange qui n’est pas trop stérile. Le fait d’être tous les cinq dans un studio en se demandant ce qu’on va faire, ça ne nous réussit pas. Le côté on fait un bœuf et on voit ce qui vient, ça nous bloque plutôt qu’autre chose. On ramène un truc avec Raoul, les gars nous disent si ça les inspire ou pas, on trie, on coupe, on enlève des morceaux, et on en garde une dizaine à l’arrivée. Jusqu’à présent c’était de manière un peu empirique, là on a fait ça de façon un peu plus structurée.

Quelles sont vos inspirations pour cet album-là ?

C’est la vie, le monde qui nous entoure. Là où avant ça pouvait être plutôt des bouquins ou des films, qui me donnaient de reraconter ces histoires à ma manière (comme La petite semaine sur le 1er album), là je garde toujours ce truc de choper des gimmicks dans les bouquins, que j’essaie de remettre des fois dans des chansons, et j’ai décidé de m’ouvrir un peu sur le monde et de ne pas parler que de moi ou au travers d’histoires d’autres gens.

Tu manies bien la rhétorique et les lectures plurielles. Ta plume est unique ?

Sur les textes oui.

Tes textes sont quasi philosophiques parfois …

Je me suis retrouvé dans une phase où je me suis mis à lire et découvrir des trucs de philo. Ça fait six albums que je raconte ma vie en musique. Il y’a un côté bien psychanalytique là-dedans, qui coûte pas cher. C’est une manière aussi de mettre ça sans que ça soit pesant, sans que ça soit trop brutal de mettre mes boyaux sur la table. Après, c’est pas de la philosophie de haut vol parce que j’y connais vraiment pas grand-chose mais je me rends compte après coup que certaines chansons répondent à des questions que je me pose. Juste histoire de dire que moi j’en suis là. Y’a pas de quoi se relever la nuit sur « Pour vivre heureux, vivons », mais c’est une formule que j’aimais bien. On est quand même pas très loin d’un truc à la Paolo Coelho. C’est pas forcément très glorieux mais quand c’est dit de manière concise sur la musique qui va bien, ça prend une dimension intéressante.

Sur cet album, vous avez effectué un virage un peu plus rock, plus électrique, plus brut …

Oui, tout ça. On a vraiment un guitariste d’exception dans la Maison Tellier avec Raoul. On lui a vraiment laissé prendre le truc en main. On était plus dans les ambiances soyeuses et les textures un peu veloutées sur l’album précédent, là on a eu envie de voir ce que ça allait donner sur scène en s’en foutant de se dire qu’on allait peut-être passer pour des vieux rockers, des vieux machins, on s’amuse ! Pendant des années et des albums on est restés à distance de ça parce qu’il y’avait un peu le fantôme de Noir Désir qui planait. Au début on me parlait beaucoup de la ressemblance de ma voix avec celle de Cantat et donc je pense qu’on avait une espèce de pudeur à aller vers ça. Là on a lâché les chevaux ; on avait envie d’un disque avec un son brut, qu’on enregistre tous ensemble et qu’on joue jusqu’à ce que le morceau soit dans une version qui nous satisfait. C’est pas du death métal, mais on a bossé avec un gars qui sait faire sonner les guitares comme on voulait.

Il y’a aussi des boucles un peu plus électro dans cet album. A la conquête d’un nouveau public ?

Non, c’est notre batteur qui a des projets électro à côté. Ça n’a pas été un calcul de trouver quelqu’un qui sache faire ça. On a fait un projet entre deux albums qui s’appelait Roseland, avec le batteur et le guitariste ; dans l’esprit de Tunng, un groupe avec une ambiance un peu hippie, comme Devendra Banhart et toute la clique, mais avec des boucles d’électro derrière. Ça on a essayé de le réinjecter dans cet album de la Maison Tellier. On l’avait déjà fait sur « Avalanche » mais assez peu finalement. Là ça donne une texture intéressante, un mariage pas trop forcé. Ça ne ressemble pas à un ornithorynque à l’arrivée, c’est un peu cohérent. Mais aussi parce que le réalisateur savait aussi bosser ces trucs-là. C’est vraiment les circonstances, l’envie et pas l’opportunisme. Il se trouve qu’en plus ça répond au titre de l’album « Primitifs modernes » d’une certaine manière. Tout ça fait qu’on s’est fait plaisir là-dessus, sans aller trop loin non plus.

Comment s’est passé l’enregistrement de cet album ? Vous avez enregistré dans plusieurs lieux différents … pourquoi ?

On a ramené des guitares voix avec des versions basiques. Comme on avait envie de l’enregistrer en le jouant tous ensemble, il a fallu bosser les morceaux. D’ordinaire, quand on se ramène en studio, chacun a enregistré sa partie et ses maquettes et chacun joue sa partie en studio pendant que les autres attendent, c’est un peu dommage. Là au moins on était tout le temps concernés tous en même temps. Pour ça on s’est fait des sessions au printemps dernier en mai/juin et on est allés dans un studio d’enregistrement qui n’avait pas forcément la technique nécessaire pour enregistrer l’album en soi, mais on a défriché et c’est à ce moment-là qu’on a réfléchi, posé, défini les arrangements et qu’on s’est mis les morceaux dans les pattes. On est arrivés après au studio Improve Tone dans le Massif Central, qui correspondait bien à nos besoins et on a pu faire ça rapidement. On a des contraintes très basiques sur le coût du studio. On a tant de jours pour le faire. Et c’est génial parce qu’on attaque la tournée en connaissant déjà bien les morceaux et on a ce côté live et brut dont tu parles, qui est venu assez naturellement.

Pourquoi votre propre label (Messalina) ?

Au tout début c’était un label régional normand, qui nous a proposé l’idée de faire un disque, puis deux. Ensuite on est allés chez un plus gros label pour le 3ème album. Il y’a eu des changements de personnel dans le label et ils nous ont rendu notre contrat donc on a dû en trouver un autre, chez qui on a fait deux albums. On était arrivés au bout de l’histoire avec ce label-là et on s’est dit que vu comment ça tournait l’industrie du disque, on aurait des résultats équivalents en étant les propres maîtres de notre destin. Ça simplifiait beaucoup de choses. On s’est retrouvés en circuit court.

C’était une période importante. On sortait d’Avalanches, ça aurait pu être le moment où se dire que c’était cool, à une prochaine. Mais là il nous fallait un coup de fouet et le fait de créer notre label nous a impliqués beaucoup plus en tant que groupe. C’était une manière de refaire une espèce de pacte de sang entre nous. Il ne pouvait pas y en avoir un qui lâche un peu l’affaire comme ça peut arriver dans une vie de groupe. Et puis c’est excitant. C’est quelque chose qu’on découvre, de devenir des associés comme dans une boîte et c’est assez grisant de se dire que ça ne tient plus qu’à nous.

Pourquoi cet oxymore en titre ?

Il nous définit bien nous, en tant que groupe. Et puis j’étais tombé dans des bouquins d’histoire de l’art sur ce mouvement de peinture : les primitifs modernes, qui n’a pas duré longtemps (fin 19ème début 20ème), et qui est devenu ensuite l’art naïf. J’aimais bien l’idée d’un nom de famille de peinture. J’ai un truc avec ça, le besoin de créer une famille, que ce soit avec le groupe ou de manière plus générale. On a toujours croisé d’autres groupes, d’autres artistes au fil des tournées, on s’est fait des potes, mais musicalement y’avait un truc où on était toujours un peu en décalage. Il y’a aussi cette envie d’avoir des connexions un peu fantasmées On a joué à ça le temps d’un album. Très vite on est partis sur les hommes préhistoriques, l’art pariétal.

Ce titre-là c’est ce qui m’a permis de rentrer dans l’album, d’écrire les titres après qui collaient dans ce cadre-là. L’oxymore c’est aussi qu’entre tous les êtres humains, on se situe quelque part entre l’homme primitif, le sapiens, et puis l’homme ultra-moderne, technologique, bionique. On est un peu paumés par rapport à ça, on ne sait pas trop comment se positionner collectivement et individuellement.

C’est aussi une manière d’annoncer la couleur, de dire que moi j’allais essayer d’ouvrir une porte sur mon cerveau pour vous donner mon avis là-dessus. Le fait de chanter, en français, c’est déjà exprimer une opinion. Il fallait trouver un juste milieu dans le ton à employer. Je ne suis pas du tout un gars qui va dire aux gens quoi penser, quoi voter ni quoi faire de leur vie, mais comme beaucoup de gens je m’interroge et j’aime bien l’idée de jeter les bouteilles à la mer et de me dire que certains vont les rattraper. Comme quand on aime un bouquin et que l’auteur a su exprimer le sentiment sur lequel on n’arrivait pas à mettre de mots. Quand c’est mis en musique, ça met le projecteur de façon plus forte dessus. C’est pourquoi ce titre nous a paru fructueux en matière d’images associées.

Quel regard porte donc un « primate » sur son temps moderne ?

L’idée c’est de se demander comment on fait pour avoir envie de rester et d’aller chercher la joie partout où elle est. C’est ce que je disais déjà dans des chansons et des albums précédents, comme dans « Haut, bas, fragile ». Une vie d’homme occidental, tombé au bon endroit, au bon moment, dans une humanité où c’est plus facile matériellement Mais après la mort d’idéologies comme le communisme ou le catholicisme, on se retrouve un peu désemparés, à essayer de chercher ce que ça va être après. On est à cet âge charnière (même si peut-être que chaque génération a cette impression). Quand on allume la radio le matin, faut être solide pour pas sombrer complètement, si on a un minimum d’empathie. On est bombardés d’infos pas cool, parce qu’on a des moyens de communication à foison. La première moitié de ma vie ça a été sans ces moyens de communication. L’oxymore il est aussi là. On est un peu coupés en deux, dans une espèce de tension. Cet album il regarde devant mais en même temps dans le rétro. On est dans un pays où on a une grande liberté. Et qu’est-ce qu’on en fait de cette liberté ? Pourquoi est-ce qu’on se sent obligés nous-mêmes de se mettre des cadres, comme si cette liberté nous faisait peur, et moi le premier.

Pourquoi cette main sur la TV, sur la pochette ?

C’est une partie de mon adolescence de s’accrocher un pin’s, ça va faire disparaître le racisme. C’est mignon de candeur et de naïveté. C’est notre graphiste qui nous a proposé ça à partir de ce titre-là. On l’avait un peu lancé sur les histoires de main parce que c’est un des premiers symboles que l’homme a peint et représenté de manière artistique. On est passés par plein de trucs comme le fait de prendre nos mains et les mettre avec de la peinture sur un mur, mais ça faisait très couloir de maternelle. On voulait quelque chose de rétro futuriste, voir un écran car c’est une préoccupation mais pas un écran d’iphone, plutôt une télé qu’on avait dans le salon de mémé avant les plasmas et cette référence à Poltergeist.  Cette main elle peut être soit une mise en garde, soit une main tendue qui en cherche une autre.

Pour parler un peu de votre tournée … Beaucoup de dates au mois de mai ?

La tournée a commencé depuis le 20 mars. On a dû faire 6 ou 7 concerts. Pour le moment on en est dans la période où on se confirme le fait que c’était une bonne idée d’aller enregistrer ça de cette manière-là. Le set file vraiment tout droit. Il y’a encore une marge de progression, de choses à trouver avec le public et entre nous, mais on est ravis d’enchaîner ça une fois l’album tout frais sorti.

Est-il vrai que les colosses ne tombent jamais malades ?

Non, indestructibles. Une fois et c’est la bonne.

Ton dernier coup de cœur lecture ?

J’ai lu pas mal Clément Rosset, un philosophe pas forcément très connu. Sinon « Faillir, être flingué », d’une auteure normande, Céline Minard. Une espèce d’ovni stylistique. C’est l’histoire de destin qui se retrouvent dans un Far West un peu fantasmé. Du Miller, le Colosse de Maroussi, parce que j’avais envie de soleil grec, de paradis perdu. Je m’imagine toujours que ce genre d’endroit dans les années 50, 60, 70 n’était pas pollué par le tourisme de masse.

Surconsommation, surinformation, c’est quoi le petit truc en plus qui va faire que nos lecteurs vont lire cette interview ?

Ah la question qui tue ! Je ne sais pas ce qu’il faut proposer maintenant sur les réseaux pour avoir du clic. Il faut dire que ce disque va changer la vie de ceux qui vont l’écouter ! Mamusicale.fr c’est l’avenir d’internet !

Retrouvez La Maison Tellier le 15 mai 2019 au Trianon à Paris et toute leur actu sur lamaisontellier.fr 

Chroniqueuse / Live report / Interviews